Les feux du mois d’août ont maintenant cessé, laissant progressivement la place aux douceurs de septembre.
Douceurs de septembre qui peuvent néanmoins se dérouler dans un climat météorologique houleux avec le passage de typhons, plus susceptibles de remonter du sud du Japon à cette période.
Le mois de septembre s’articule ainsi autour de trois temps forts, à savoir :
- la prévention contre les catastrophes naturelles
- la reconnaissance exprimée à l’égard des ancêtres et des aînés
- l’accueil poétique de l’automne, au sens propre comme figuré.
Voyons donc de plus près de quoi il retourne !
1er septembre au Japon : une journée dédiée à la prévention des sinistres et catastrophes naturelles
Cette journée du 1er septembre ne figure pas au nombre des jours fériés japonais. Cependant, elle n’en reste pas moins très importante pour la société civile. En effet, celle-ci doit apprendre dès son plus jeune âge à adopter les bons gestes et comportements en cas de sinistre ou de catastrophe naturelle.
Cette « éducation au pire » est d’ailleurs relayée en permanence par les médias. La chaîne de télévision publique NHK en offre un exemple sur son site Web, avec des rubriques spécifiques de vulgarisation déclinées par types de risques : typhon, pluie diluvienne, tornade, orage, tremblement de terre, tsunami, chute de neige abondante et coup de chaleur. Eh oui, on ne badine plus avec la météo depuis belle lurette au Japon ! 😀
Et pour cause ! Ce n’est un secret pour personne ; les Japonais doivent régulièrement faire face aux caprices dévastateurs de dame Nature…
C’est précisément ce qui explique la création de cette journée dédiée à la prévention des sinistres et catastrophes naturelles/bôsai no hi/防災の日 dès 1960. La date du 1er septembre ne doit rien au hasard. Elle renvoie à celle du gigantesque désastre provoqué par le séisme de 1923 sur la plus grande île du Japon, dans la plaine du Kantô. Au nombre des plus grandes villes touchées, figuraient Yokohama, Shizuoka et Tôkyô avec un chiffre officiel d’au moins 100.000 morts provoqués par la propagation du feu et l’effet de panique généralisée.
Désormais bien ancrée dans les moeurs et soutenue par l’actualité chaotique de sinistres à répétition, la journée s’est même aujourd’hui transformée en semaine dédiée à la prévention des sinistres et des catastrophes naturelles/bôsai shûkan/防災週間… C’est dire à quel point la population japonaise dans son ensemble est sensibilisée et sensible à ces questions !
3ème semaine de septembre : le temps du recueillement et de l’hommage aux aînés
Le mois de septembre au Japon se décline autour de deux autres temps forts : la journée dédiée aux personnes âgées/keirô no hi/敬老の日 puis le jour de l’équinoxe d’automne/shûbun no hi/秋分の日.
3ème lundi de septembre : le jour dédié aux personnes âgées
Le premier – keirô no hi/敬老の日, sanctuarisé sous forme de jour férié depuis l’après-guerre et fixé au 3ème lundi de septembre depuis 2003, vise à souhaiter longue vie aux personnes âgées et à exprimer la reconnaissance de la nation japonaise pour leur contribution à la société. Il est d’ailleurs d’usage de leur offrir des cadeaux à cette occasion, de nature le plus souvent alimentaire. D’une manière générale, on reconnaît volontiers aux aînés une capacité à donner des conseils avisés et pleins de sagesse. Ainsi, au Japon, l’expérience des seniors est valorisée, voire recherchée.
Nous sommes désormais bien loin de l’image véhiculée par ce film magistral de Shôhei Imamura – La Ballade de Narayama/Narayama bushikô/楢山節考 (Palme d’or au Festival de Cannes 1983) – relatant une pratique d’abandon de vieille femme en montagne/ubasute/姥捨て au milieu du XIXème siècle. Autre temps, autres moeurs !
Pour autant, le regard sur la vieillesse et la question de la gestion du grand âge demeurent des sujets éminemment contemporains.
J’en veux pour preuve le film d’anticipation de la réalisatrice Chie Hayakawa – Plan 75 (2022) – qui met en scène l’euthanasie programmée de personnes âgées sur fond d’incitations logistique et financière de l’Etat. Dérangeant et cruel, mais tellement crédible en fiction !… A voir absolument !
Critique et extrait du film Plan 75
Un vieillissement problématique de la population…
En effet, rappelons ici que le Japon souffre depuis de longues années d’un vieillissement accéléré de sa population doublé d’un taux de natalité en berne.
Près de 30% des Japonais ont aujourd’hui plus de 65 ans. S’ajoute à ce phénomène, une longévité remarquable. Selon les données OCDE de 2020, l’espérance de vie des Japonais s’élève à 87,7 ans pour les femmes et 81,6 ans pour les hommes. Le Japon est également le pays qui possède la proportion la plus élevée de centenaires par rapport à sa population (source : statistiques démographiques 2020 des Nations unies).
Ce vieillissement de la population représente donc pour le pays un défi crucial à relever, à l’heure où la structure familiale traditionnelle s’érode chaque jour davantage. Il est un fait que les évolutions économiques et sociétales des dernières décennies ne permettent plus nécessairement à l’aîné des enfants de prendre en charge le grand âge de ses parents.
… aux conséquences parfois dramatiques
Ainsi, il n’est plus rare que vieillesse finisse par rimer avec travail des seniors bien au-delà de l’âge officiel de la retraite (65 ans), isolement et grande précarité. Certaines personnes âgées en viennent même à défrayer la chronique, préférant se retrouver en prison plutôt qu’à la rue…
Pour celles et ceux d’entre vous qui s’intéressent au sujet, je recommande vivement d’écouter le podcast suivant :
Le Japon face au vieillissement : entre défaitisme et inventivité
Equinoxe d’automne et cérémonies de recueillement
Présentant une certaine similitude avec la Toussaint du monde chrétien, le jour de l’équinoxe d’automne/shûbun no hi/秋分の日 est un jour férié consacré à la visite des cimetières et aux hommages rendus aux défunts selon la tradition bouddhiste.
Plus précisément, les cérémonies afférentes peuvent se dérouler sur une semaine, démarrant 3 jours avant l’équinoxe et s’achevant 3 jours après. Cette période correspondrait en effet à celle où les morts quittent leur royaume puis y retournent, charge aux vivants de leur manifester respect et gratitude pour préserver l’apaisement durable de leurs âmes.
Somme toute quelque peu empreinte de gravité, cette 3ème semaine de septembre constituera néanmoins pour les Japonais les mieux lotis professionnellement parlant, une excellente occasion de s’octroyer une nouvelle fois plusieurs jours de congés consécutifs entre keirô no hi et shûbun no hi. Qui l’eût cru !:D
Une fin septembre poétique au clair de la Lune…
S’il est une chose que j’apprécie particulièrement dans la culture japonaise, c’est que la poésie n’est jamais bien loin du quotidien. Elle nous rappelle souvent que toute attention aux choses de la vie peut être source de joie, élégante et poétique. 🙂
Prenons donc l’exemple de cette fête traditionnelle d’automne placée sous l’égide de la pleine Lune : jûgoya/十五夜 – littéralement « quinzième nuit ».
De quoi s’agit-il exactement ?…
Vous souvenez-vous de ma remarque à propos du « début de l’automne »/risshû/立秋 en plein mois d’août au Japon ? Un peu tôt pour entrer dans l’automne !… Et pourtant, c’est bien de cela dont il s’agit puisque, dans l’ancien calendrier lunaire du Japon, l’automne se déclinait bel et bien entre juillet et septembre. Tant et si bien que le mois d’août coïncidait précisément avec le milieu de l’automne ! 😀
« Véronique, là, tu nous embrouilles ! » me direz-vous. Pas tant que ça en réalité !
En fait, la fête de jûgoya/十五夜 dont il est question ici correspond à la quinzième nuit du huitième mois de l’ancien calendrier lunaire. Mais, depuis l’adoption du calendrier luni-solaire au Japon, cette fête de jûgoya/十五夜 tombe mécaniquement entre la 2ème décade de septembre et la 1ère décade d’octobre. Voilà tout, c’est dit, c’est fait ! 😀
Jûgoya : un divertissement de la Cour impériale devenu fête populaire…
D’origine chinoise, les historiens font remonter l’adoption de la fête de jûgoya/十五夜 par la Cour impériale vers le milieu du IXème siècle.
Elle consiste à contempler la pleine Lune à une période de l’année où, dans un ciel limpide, elle est la plus facile à observer : on s’adonne alors à la pratique du o tsukimi/お月見 qui, au demeurant, n’est pas sans rappeler celle du o hanami/お花見 de printemps consacré à la contemplation des cerisiers en fleurs.
A cette époque donc, les nobles profitent de soirées divertissantes consistant en des joutes poétiques menées sur fond de musique d’orchestre. Ces compositions de poèmes ont lieu de préférence à proximité, voire sur l’eau, de manière à jouir pleinement des reflets de la Lune dans celle-ci. Quel raffinement ! 🙂
Plus tard encore, on retrouve la trace de cette coutume de o tsukimi/お月見 dans l’univers des haïkus. En voici un exemple avec Bashô, le célébrissime poète du XVIIème siècle.
『あさむつや 月見の旅の 明け離れ』
Asamutsu ya/ tsukimi no tabi no/akebanare
« Asamutsu de tôt matin/le voyage au clair de lune/au jour fait place »
Ce haïku illustre un voyage à pied entrepris de nuit un jour de pleine lune, au moment d’arriver à la pointe du jour dans la ville de Fukui, au niveau du pont enjambant la rivière Asamutsu.
Cependant, il faudra attendre l’époque d’Edo (1603 – 1868) pour que la fête de jûgoya/十五夜 prenne une dimension véritablement populaire. Coïncidant avec les premières récoltes et moissons, elle prend alors des allures d’action de grâce à la façon de Thanksgiving et vient se confondre avec des rites agraires ancestraux. Ainsi, on célèbre la Lune en faisant des offrandes prélevées sur les récoltes toutes fraîches : patates douces, châtaignes, raisins…
… qui traverse le temps en conte et en chanson
De nos jours, le joli conte bouddhiste du lapin prêt à faire le sacrifice de sa vie pour nourrir un dieu irascible et prétendument affamé, habite encore le coeur des Japonais. Depuis leur plus jeune âge, ils apprennent en effet que ce dieu, touché par le dévouement sans faille de l’animal, le sauva des flammes et l’envoya sur la Lune afin que les hommes n’oublient jamais son acte de bravoure. Voilà pourquoi au Japon, les lapins ont la Lune pour royaume ! 🙂
Etant moi-même du signe zodiacal du Lièvre, autant vous dire que depuis que je connais cette légende, je me sens très fière et honorée de faire partie des leurs ! 😀
De cette légende découle le folklore consistant à représenter des lapins affairés à la confection de petites boules de mochi, les tsukimi dango/月見団子. Comme en témoigne l’illustration suivante, l’imagerie populaire accompagne le tout de la représentation d’une plante herbacée emblématique de l’automne, le susuki/ススキ.
Vous avez là maintenant tous les ingrédients nécessaires pour savourer les joies de la fête de jûgoya/十五夜. Que diriez-vous de la faire vôtre en la traduisant à votre manière dans votre pays ?… Comme ce fut le cas pour Halloween, ne peut-on pas rêver qu’elle puisse un jour avoir sa place dans nos sociétés ?
Pour clore cette page sur le mois de septembre au Japon, je vous propose enfin de replonger quelques minutes dans les douceurs de l’enfance, avec deux chansons mélodieuses aux douces sonorités enfantines.
USAGI USAGI
La première met en scène nos gentils lapins sautillant face à la pleine lune :
JÛGOYA O TSUKI SAN
La seconde, empreinte de nostalgie, remonte à l’année 1920. Elle a été écrite par un célèbre poète et parolier de chansons pour enfants – Ujô Noguchi (1882 – 1945)-, et a ravi le coeur de générations de Japonais :
Voici déjà venu le moment de nous quitter. J’espère que ce mois de septembre au Japon vous aura fait découvrir de nouvelles facettes de la société japonaise !
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