24 août au Japon. Voilà bien une nouvelle date que nombre de Japonais, associations écologistes et membres de la communauté intellectuelle en tête, ne sont pas prêts d’oublier !
A peine avaient-ils profité le 17 juillet 2023 du jour férié dédié à la mer/umi no hi/ 海の日 (3ème lundi de juillet depuis 1995), que le gouvernement Kishida leur annonçait dans la foulée qu’il s’apprêtait à rejeter dans l’océan Pacifique les eaux usées de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi sinistrée lors de la triple catastrophe du 11 mars 2011 : tremblement de terre de magnitude 9,1 –> vague-submersion/tsunami –> accident nucléaire. Le moment choisi pour annoncer cette décision a de quoi laisser perplexe et sonne un peu comme une provocation aux oreilles de certains, mais les politiciens japonais ne sont pas à un paradoxe près ! 😀
Quelques semaines plus tard, en dépit même des mouvements de protestation au plan national et à l’international, le gouvernement Kishida mettait donc bel et bien son plan à exécution, avec pour date de démarrage, le jeudi 24 août 2023.
Les médias internationaux ont très largement relayé l’information et les conséquences de cette décision gouvernementale. Par conséquent, je ne vais pas m’étendre sur les détails opérationnels et les conséquences avérées de l’opération, déjà si bien décrits dans la vidéo et les articles suivants du journal le Monde :
Le Japon a commencé à rejeter les eaux usées de la centrale de Fukushima (lemonde.fr)
En revanche, je souhaite ici mettre l’accent, d’une part, sur les inquiétudes légitimes d’une partie de la population japonaise, et d’autre part, sur la persistance du ressentiment éprouvé par les pays ayant eu à souffrir des exactions commises par le Japon pendant sa période expansionniste et militaire.
24 août au Japon : une date historique qui ravive des plaies douloureuses dans la population japonaise…
La dispersion des eaux de la centrale de Fukushima renvoie inévitablement la population japonaise à la tragédie du 11 mars 2011. Rappelons que son ampleur et le traumatisme engendré furent tels qu’ils ont depuis donné naissance à une littérature spécifique, dite « littérature post-Fukushima » / 3.11以降の文学 / san ten jûichi ikô no bungaku. De même, ce n’est pas un hasard si le prestigieux prix littéraire japonais Akutagawa a été décerné en décembre 2022 à Atsushi Satô, écrivain originaire de la région sinistrée, pour son oeuvre inspirée par le thème de la laborieuse reconstruction personnelle après la catastrophe : arechi no kazoku/ 荒地の家族.
De même, l’apparition du mot « nucléaire » dans une proposition revêt au Japon une nature particulière, dont l’usage reste délicat et extrêmement sensible.
En effet, bien que l’énergie nucléaire procède d’une technologie différente de celle utilisée dans l’armement nucléaire, l’amalgame demeure inévitable et rappelle immanquablement les ravages provoqués dans la population civile par les bombes atomiques des 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et Nagasaki…
Enfin, dans un pays qui représente l’un des plus gros consommateurs de produits de la mer au monde, comment imaginer que la communauté des pêcheurs et des associations de consommateurs ne s’insurgent pas contre le rejet des eaux usées de Fukushima dans l’océan Pacifique ? A leurs yeux, en dépit même des propos réconfortants de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), par cet acte, le Japon s’engage dans une voie hasardeuse susceptible de porter préjudice à la santé humaine et à la planète bleue, sans compter les retombées économiques préoccupantes pour les pêcheurs locaux…
Décision gouvernementale du 24 août 2023 au Japon :
quelles répercussions sur les ventes de produits de la mer ?
24 août au Japon : une date historique qui sème la discorde chez ses voisins asiatiques
Il n’en fallait d’ailleurs pas moins pour envenimer les relations diplomatiques déjà tendues entre le Japon et ses voisins immédiats, la Chine et la Corée (du Nord comme du Sud). Les blessures engendrées par l’impérialisme japonais jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale n’y sont pas étrangères.
Enjeu économique
Réelle ou feinte, l’indignation de ces populations face au rejet des eaux de Fukushima est aujourd’hui telle que leurs importations de produits de la mer en provenance de préfectures japonaises cibles ont drastiquement baissé, voire ont été purement et simplement stoppées jusqu’à nouvel ordre.
Cependant, aux dires des spécialistes, les mesures de rétorsion économiques prises par la Chine ne sont pas susceptibles de mettre à elles seules en péril la filière pêche japonaise dans son intégralité. Dans ces conditions, il se pourrait bien que le gouvernement japonais n’ait envisagé le sort des pêcheurs en activité dans le secteur de Fukushima que sous l’angle du nécessaire dommage collatéral…
Contre enjeu géostratégique
Ne nous y trompons donc pas. Plus qu’économique, l’enjeu actuel est bien d’ordre géopolitique et stratégique, du moins pour la Chine et la Corée du Nord.
La Corée du Sud n’a pour l’heure d’autre choix que de naviguer entre réprobation officielle et « acceptation contrainte » du fait de son récent accord triangulaire de collaboration militaire (Camp David 18 août 2023) avec les Etats-Unis et le Japon. Vulgairement parlant, elle ménage la chèvre et le chou…
Sommet historique à trois aux Etats-Unis avec le Japon et Corée du Sud (radiofrance.fr)
De son côté, le bloc communiste n’hésite pas à instrumentaliser la population en déterrant la hache de guerre du ressentiment historique.
L’escalade a pris une telle ampleur que le mouvement anti-nippon est maintenant à son comble en Chine, comme le révèle cet article de France Info :
A ce stade, bien malin qui pourra dire quand le bras de fer engagé prendra fin ni sous quelle forme !…
Ce qui est certain en revanche, c’est que la catastrophe nucléaire de Fukushima n’a malheureusement pas fini de faire parler d’elle, au Japon comme à l’international… Toute la communauté mondiale reste en effet sur ses gardes et attend de savoir quelles seront les conséquences avérées du déversement progressif de près de 1,3 million de tonnes d’eau contaminée dans l’océan Pacifique sur les 30 à 40 ans que va durer le démantèlement de la centrale.
Pour ceux qui en douteraient encore, Fukushima n’est donc pas qu’une question japonaise. Fukushima est bel et bien un triste laboratoire à ciel ouvert pour le monde entier, comme l’ont été Hiroshima et Nagasaki en 1945…
Face à ces deux calamités à quelques décennies d’intervalle, je ne peux pour ma part que saluer la résilience exemplaire dont fait preuve le peuple japonais. Puisse sa douloureuse expérience servir la réflexion des apprentis sorciers et roitelets de tous bords qui gouvernent ce monde !