Avril au Japon : nouveau départ sur fond de cerisiers en fleurs !

A mi-chemin entre le début officiel du printemps en mars et la Golden Week du mois de mai, le mois d’avril au Japon assure une transition enchantée pleine d’allégresse.

Et pour cause ! Au cours de ce mois délicieux, le front des cerisiers en fleurs progresse du sud au nord du pays et accompagne le nouveau départ que représente la nouvelle année fiscale et scolaire au Japon.

Qui plus est, le mois d’avril au Japon s’achève sur la Fête de Shôwa/shôwa no hi/昭和の日. Ce jour férié octroyé en mémoire de la date anniversaire de feu l’empereur Hirohito (1901 – 1989) – le 29 avril – marque aussi le début de la fameuse Golden Week du mois de mai, qui peut durer pour certains Japonais jusqu’à 10 jours ! 🙂

calendrier japonais du mois d'avril
Calendrier japonais du mois d’avril

1er avril au Japon : nouvelle année comptable, nouvelle année scolaire !

Non, contrairement aux apparences, ce n’est pas un poisson d’avril ! L’année scolaire et l’année comptable démarrent bien le 1er avril au Japon. 😀

Le Japon n’est certes pas le seul pays à procéder de la sorte, au moins sur le plan fiscal et comptable. Cependant, c’est probablement l’un des rares, voire le seul, à avoir calé l’année scolaire sur cette même période comptable…

La riziculture comme fondement de l’année comptable

Cette particularité japonaise remonte à 1886. En effet, à l’époque, le gouvernement de Meiji décide d’organiser la collecte des impôts en se conformant au cycle de production du riz. Ingrédient majeur de l’alimentation japonaise au même titre que notre blé, les récoltes de riz s’achèvent à l’automne. L’idée est donc alors d’attendre l’écoulement de la production de l’année pour pouvoir calculer au plus juste les impôts à percevoir sur les récoltes et déterminer le budget à venir. En d’autres termes, le choix du 1er avril comme démarrage de l’année fiscale et comptable trouve sa justification dans le passé agricole du pays. A cela s’ajoute aussi le fait que le Japon d’alors souhaitait se mettre au diapason d’un de ses modèles occidentaux, le Royaume Uni.

L’année comptable comme étalon de l’année scolaire

Concernant l’année scolaire, c’est la fondation des grandes universités japonaises au cours de l’ère Meiji (1868 – 1912) qui a conditionné la fixation de la date de rentrée au 1er avril. En effet, les subventions allouées à ces universités étaient intimement liées à la détermination du budget de l’Etat. Au final, il fut donc décidé de faire coïncider année comptable et année scolaire !

En outre, cette date du 1er avril est depuis si bien ancrée dans la société japonaise que même les entreprises l’ont reprise à leur compte !

nyûgakushiki : cérémonie d'entrée à l'école en avril au Japon
Nyûgakushiki : cérémonie d’entrée à l’école

C’est ainsi qu’au Japon se succèdent en avril les cérémonies d’entrée dans les écoles/nyûgakushiki/入学式 réservées aux nouveaux admis sur concours, mais également les cérémonies d’accueil des nouvelles recrues en entreprises/nyûshashiki/入社式. 🙂

Pas de mois d’avril au Japon sans hanami et tutti quanti !

L’expression « hanami »/花見, désormais mondialement connue, signifie littéralement : « la contemplation des fleurs » (hana/花 : fleur/ mi(ru)/見(る) : regarder).

Fête des cerisiers et hanami de jour comme de nuit

Comme nous l’avons vu les semaines précédentes, plusieurs mois de l’année offrent l’occasion d’aller admirer de remarquables floraisons. Cependant, lorsqu’il est question de hana/花/fleur sans plus de précision, il s’agit immanquablement de la fleur de cerisier, LA fleur emblématique du Japon par excellence.

Je vais donc m’attacher à vous en présenter les différentes « matérialités » puis les symboliques associées.

Une histoire de botanique

L’engouement provoqué par les cerisiers en fleurs au Japon comme à l’étranger est d’abord affaire de botanique.

Le sakura/桜– qui désigne l’arbre comme la fleur – présente au Japon une incroyable variété, avec pas moins de 600 espèces répertoriées à ce jour !

Ces variétés sont le fruit de croisements obtenus à partir de onze espèces sauvages, qui se distinguent notamment par la couleur (du blanc au rose foncé), le port, le nombre de pétales et l’ordre d’apparition des feuilles et des fleurs. Il s’agit de cerisiers à vocation ornementale ne donnant aucun fruit.

Ceci étant, il semble que la variété favorite des Japonais soit représentée par le cerisier Somei Yoshino. Il couvrirait 70 à 80% de l’ensemble des spots de cerisiers au Japon !

Cerisier Somei Yoshino en fleurs
Fleurs de cerisier Somei Yoshino

Issu du croisement de deux espèces sauvages, le cerisier Edo Higan et le cerisier Ôshimazakura, le Somei Yoshino est une variété domestiquée. Son extrême popularité tient aux caractéristiques suivantes :

  • l’éclosion des fleurs précède celle des feuilles.
  • la corolle présente un dessin parfait.
  • la couleur rose pâle est flatteuse.
  • pour un lieu donné, la floraison de tous les arbres se produit simultanément, telle une magnifique explosion de couleur.

Pour ma part, hormis le Somei Yoshino, je voue une affection particulière à deux autres types de cerisiers. En effet, j’apprécie particulièrement :

  • le cerisier yaezakura/八重桜 pour sa floraison généreuse et pulpeuse en forme de grappes épaisses de pétales.
Yaezakura en fleurs
Grappes de fleurs dans un Yaezakura
  • le cerisier pleureur/shidarezakura/枝垂桜, pour son port alangui.
Shidarezakura : Cerisiers pleureurs
Shidarezakura

Face à cette foisonnante diversité, on ne s’étonnera donc pas que les Japonais aiment à se prélasser ou à se promener de jour comme de nuit sous ces arbres en fleurs, et à organiser de petits banquets en plein air pour fêter leur floraison ! 🙂

Avril au Japon : banquet à l'ombre des cerisiers en fleurs
Banquet au pied de cerisiers en fleurs

Le temps d’une pause, laissons-nous donc porter en images par le souffle enchanteur des cerisiers en fleurs …

… nourrissante pour le corps et l’esprit

La joie éprouvée par tout un chacun à la vue des cerisiers en fleurs se traduit depuis bien longtemps de multiples manières sur le plan artistique et trouve son expression jusque dans la tradition culinaire.

Florilège artistique

Chansons, poèmes, peintures… La beauté et les émotions provoquées à la vue des cerisiers en fleurs se déclinent à volonté dans l’expression artistique.

A titre d’exemples, voici, à deux siècles d’intervalle, deux haïkus de célèbres poètes japonais : Bashô (1644 – 1694) et Shiki (1867-1902).

Bashô (1644-1694) : 『さまざまの こと思ひ出す 桜かな

samazama no / koto omoidasu / sakura kana
« Tant de choses / chers cerisiers en fleurs/ me rappellent ! »

Au souvenir de l’un, vient s’opposer le saisissant oubli de l’autre… 🙂

Shiki (1867-1902) :『花咲いて 思ひ出す人 皆遠し

hana saite / omoidasu hito / mina tôshi
« Cerisiers en fleurs / ceux dont je me souviens / si loin me semblent ! »

Dans le registre musical, on peut encore citer cette célébrissime chanson apprise dès l’enfance par tous les Japonais :
SAKURA SAKURA

Déclinaison gastronomique

En outre, la tradition du sakura mochi/桜餅, nous offre l’occasion d’illustrer de façon divertissante la dualité à l’oeuvre entre la région du Kansai et du Kantô.

Pour mémoire, la région du Kansai englobe les villes de Kyôto, Nara et Osaka tandis que la région du Kantô renvoie aux villes de Tôkyô, Kamakura et Yokohama.

Souvent présentées comme rivales sur le plan culturel ou politique, ces deux régions présentent des versions différentes de l’emblématique « mochi de printemps » : le sakura mochi/桜餅.

Sakura mochi du Kansai

Dans le Kansai, le sakura mochi/桜餅 adopte une forme toute en rondeur.

sakura mochi du Kansai

Il est confectionné avec du riz gluant, ce qui lui donne un aspect luisant.

Sakura mochi du Kantô

Dans le Kantô, le sakura mochi/桜餅 est d’aspect plutôt rectangulaire et prend l’allure d’une crêpe enroulée sur elle-même.
Il est fabriqué avec de la farine de riz.

sakura mochi du Kantô

Dans un cas comme dans l’autre, le sakura mochi/桜餅 revêt une couleur rosée, et est fourré avec une pâte de haricots rouges sucrée/an/あん. Pour parfaire le tout, il est coiffé d’une ravissante feuille de cerisier en général légèrement salée.

Du fait de sa couleur dominante, il est également fréquent de consommer le sakura mochi/桜餅 à l’occasion de la « Fête des poupées »/ o hina matsuri/ お雛祭り du mois de mars.

Quant à dire lequel du Kantô ou du Kansai est le meilleur, je me garderai bien de trancher la question ! 😀
De mon point de vue, il en va un peu comme de la Galette des rois en France : il convient à chacun de se faire sa propre opinion lors d’une dégustation… 🙂

Avril au Japon : le sakura comme symbole de la nation japonaise

La symbolique rattachée au sakura/桜 est en fait plurielle.

Il est certes un symbole venant magnifier le printemps, mais il est également annonciateur de la saison de plantation du riz. Cet événement agricole majeur pour la vie des Japonais n’a d’ailleurs pas échappé aux aristocrates de la cour impériale de Kyôto à l’époque Heian (974 – 1185). En effet, dès cette époque, il devint d’usage de fêter les cerisiers en fleurs en organisant des banquets au cours desquels on s’adonnait notamment à la poésie pendant des parties de « contemplation florale »/ hanami / 花見. Les cerisiers sont alors loués pour leur beauté éminemment éphémère, métaphore d’une vie humaine si fragile et fugace.

Cependant, ce n’est que plus tardivement, vers l’époque d’Edo (1603 – 1868), que le peuple s’empare véritablement du symbole, au point d’en faire subrepticement son emblème, en parallèle du chrysanthème dédié à l’empereur.

Entre-temps, la classe des samouraïs l’aura également fait sien. Il était alors convenu que les guerriers japonais au service d’un seigneur acceptent, le cas échéant, de sacrifier leur vie au nom de celui-ci. C’est d’ailleurs sur ce même fondement que l’impérialisme japonais s’est développé avant et pendant la Seconde guerre mondiale, certains allant jusqu’à prétendre que les hommes tombés au combat se réincarnaient en sakura !… Reste qu’aujourd’hui encore, dans un Japon pacifié, militaires et policiers continuent d’utiliser la fleur de cerisier pour emblème…

Erigée en symbole de l’âme japonaise, la fleur de cerisier/sakura, toute esthétique qu’elle soit, n’en recèle donc pas moins une facette aux relents parfois quelque peu mortifères…

Au coeur de cette apothéose printanière, ne seriez-vous pas tenter de rejoindre la nuée de touristes qui, tels des hirondelles à l’annonce du printemps, voyagent chaque année toujours plus nombreux au Japon ?

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